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.Les soeurs, jouvencelles en fleur depuis peu, ressemblaient à deux pouliches piaffantes.Mais l’atout majeur était le père : le général Petronio San Roman, héros des guerres civiles du siècle dernier, et l’une des plus grandes gloires du régime conservateur pour avoir mis en fuite le colonel Aureliano Buendia lors du désastre de Tucurinca.Ma mère fut la seule à ne pas aller le saluer quand elle sut qui il était.« Il me paraissait excellent qu’ils se marient, me dit-elle.Mais se marier était une chose et serrer la main d’un homme qui avait ordonné qu’on tire dans le dos de Gerineldo Marquez en était une autre.» Dès qu’il se montra à la portière de sa voiture, en saluant avec son chapeau blanc, chacun put le reconnaître grâce à la célébrité de ses photos.Il portait un costume de lin, de la même couleur que le blé, des bottines de cuir de Cordoue, aux lacets croisés, des lorgnons en or accrochés à son gilet.Il portait en outre la croix de guerre et une canne sculptée à l’emblème du pays.Il fut le premier à descendre de voiture, recouvert jusqu’aux oreilles de cette poussière brûlante de nos mauvais chemins ; il lui avait suffi d’apparaître sur son siège pour que tout le monde comprît que Bayardo San Roman allait épouser qui il voulait.C’était Angela Vicario qui ne voulait pas.« Il était trop homme pour moi », me dit-elle.Et puis, Bayardo San Roman n’avait même pas essayé de la séduire bien qu’il eût ensorcelé la famille par son charme.Angela Vicario n’oublia jamais l’horreur de cette soirée où ses parents, ses soeurs aînées et leurs maris, réunis au salon, lui imposèrent de se marier avec un homme qu’elle avait à peine vu.Les jumeaux se maintinrent à l’écart.« Nous pensions qu’il s’agissait de foutaises de jupons », me dit Pablo Vicario.L’argument sans appel des parents fut qu’une famille dont la modestie constituait la dignité n’avait pas le droit de mépriser cette récompense du destin.Angela Vicario osa à peine insinuer que l’absence d’amour était un inconvénient.Sa mère, d’une seule phrase, pulvérisa l’argument :« L’amour aussi, ça s’apprend ! »À la différence des fiançailles de l’époque, qui étaient longues et surveillées, celles-ci ne durèrent que quatre mois, tant Bayardo San Roman était pressé.On les eût sans doute abrégées encore si Pura Vicario n’avait exigé d’attendre la fin du deuil familial.Pourtant, les jours passèrent sans angoisses car Bayardo San Roman avait une manière irrésistible de régler les problèmes.« Un soir il me demanda quelle maison me plaisait le plus, me raconta Angela Vicario.Et je lui répondis, sans trop savoir pourquoi, que la plus jolie du pays était la villa du veuf Xious.» J’aurais répondu la même chose.La villa était située sur une colline balayée par les vents et, de la terrasse, on découvrait le paradis sans fin des marécages couverts d’anémones violettes ; l’été, par temps clair, on arrivait à voir l’horizon limpide de la mer des Antilles et les paquebots de touristes qui vont à Carthagène-des-Indes.Le soir même, Bayardo San Roman se rendit au cercle et alla s’asseoir à la table du veuf Xious pour faire une partie de dominos.« Veuf, lui dit-il.Je vous achète votre maison.— Elle n’est pas à vendre, répondit le veuf.— Je l’achète avec tout ce qu’il y a dedans.»Le veuf lui expliqua en homme élevé à l’ancienne, et avec des mots choisis, que les objets de son domicile avaient été achetés par sa défunte épouse au cours d’une vie de sacrifices et qu’il les considérait comme une part d’elle-même.« Il parlait à coeur ouvert, me dit le docteur Dionisio Iguaran, leur compagnon de jeu.J’étais certain qu’il aurait préféré mourir plutôt que de se séparer d’une maison où il avait vécu heureux pendant plus de trente ans.» Bayardo San Roman lui aussi comprit ses raisons.« D’accord, dit-il.Dans ce cas, vendez-moi la maison vide.»Mais le veuf s’y refusa jusqu’à la fin de la partie
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